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Entretien avec Achao

Peintre de l’impermanence et de la joie silencieuse


Retranscription de l’échange entre Achao et Célia G. Félicien Tirtelain, amatrice d’art. Le peintre parle de la peinture comme d’un état intérieur, un espace en mouvement perpétuel. Ses toiles, immenses et légères, sont des respirations, des territoires de silence. Dans cet échange libre, il évoque sa quête de sérénité, ses références philosophiques et sa manière d’habiter le monde par la couleur. Une conversation calme, presque suspendue.

A Chamonix, France, le 9 octobre 2025.

« Je peins des respirations, pas des images »

Célia : Quand on regarde vos toiles, on a l’impression d’assister à quelque chose de vivant, de mouvant… Comme si la peinture respirait.
Achao : C’est exactement cela. Je crois que je peins des respirations, et non des images. Je ne cherche pas à raconter ou à développer un sujet, ni à illustrer quoi que ce soit. Je veux simplement ouvrir un espace pictural, offrir une pause visuelle où le regard puisse se poser. Les formes, les couleurs, tout cela tient dans un équilibre précaire — un ordonnancement qui pourrait se reconfigurer à tout moment. C’est une manière d’être dans la lignée d’Héraclite, selon qui « tout coule, rien ne demeure ». Rien n’est jamais figé, ni dans la peinture, ni dans la vie.
Célia : Donc, vous ne figez pas le monde, vous le laissez… glisser, en quelque sorte ?
Achao : Oui, glisser — ou respirer. J’aime ce mot. Ne serait-ce pas une illusion pathétique que de vouloir retenir le mouvement de la vie ?

« Pantha Rhei, ou l’art de peindre le flux »

Célia : Votre série Pantha Rhei incarne justement ce flux vital. Que cherchez-vous à transmettre à travers ces peintures ?
Achao : Pantha Rhei est née d’un besoin d’accompagner le mouvement du monde plutôt que de le retenir. Je travaille par couches, par transparences, un peu comme des vagues. Les motifs naissent, se défont, puis renaissent ailleurs. Ils se répondent, composant un ensemble équilibré et juste — mais d’une justesse instantanée, provisoire. Parfois, j’ai l’impression que la représentation sur la toile doit s’émanciper de tout acte volontaire. J’aime peindre sur des toiles libres, sans châssis. J’aime savoir que la peinture peut un peu flotter dans l’air, comme si elle devenait un objet vivant. On ne sait jamais vraiment le chemin qu’une pensée — ou même une intention artistique — peut prendre.

« Les Mandalas sont des cercles de calme »

Célia : Dans vos Mandalas, on retrouve une forme de silence, de centrage. D’où vous vient cette approche ?
Achao : Du besoin de ralentir, de poser les outils qui envahissent notre quotidien. Le mandala est une forme universelle : un centre et un cercle. Chez moi, ce n’est pas un symbole figé, mais un mouvement centrifuge. Je ne cherche pas la perfection géométrique, je cherche la vibration. Qui pourrait, d’ailleurs, prétendre dessiner un vrai cercle à main levée ? Le mandala est un miroir de la condition humaine — une imperfection merveilleuse.
Célia : Donc la beauté naît de cette imperfection ?
Achao : Exactement.

« Les Vâhanas sont des chemins d’élévation »

Célia : Parlons de vos Vâhanas. Ces toiles verticales donnent presque envie de lever la tête, comme si elles invitaient à une ascension.
Achao : C’est une belle lecture. Le mot Vâhana vient de la mythologie hindoue : ce sont les véhicules des dieux. Je les ai transformés en véhicules intérieurs. Les lignes des Vâhanas montent, les formes s’élancent et s’étirent — sans force excessive. Il n’y a pas d’effort, c’est une ascension tranquille. Je veux que le regard décolle du macadam, qu’il s’allège. Tout est question de verticalité douce, de passage.
Célia : Une montée, mais sans transcendance religieuse ?
Achao : Non, il n’y a pas de religion. Je ne dicte aucun dogme. Mes peintures sont simplement des matrices qui accompagnent le regardeur — qu’il cherche la joie, l’apaisement, la prière, ou simplement la pensée. Peut-être aussi la méditation.

« Je cherche à faire respirer l’espace »

Célia : Vous travaillez beaucoup sur des formats monumentaux, parfois en installation. Que cherchez-vous à provoquer ?
Achao : Quand je peins grand, ce n’est pas pour impressionner, c’est pour envelopper le regardeur. Le grand format est une invitation à entrer dans la peinture. La toile devient un environnement, presque une architecture de lumière. Dans mes installations, j’aime mêler ma peinture aux sculptures de Lars Von KFL. Avec cet ami sculpteur, nous créons des dialogues silencieux. J’aime infiniment ces immersions douces, sans effet spectaculaire.

« L’artiste n’est qu’un passeur »

Célia : Vous dites souvent que l’artiste n’est pas au centre, qu’il n’a pas le dernier mot.
Achao : Oui, absolument. Je ne crois pas en l’artiste comme figure d’autorité vivant des choses exceptionnelles. Le travail artistique est pour moi un travail de passeur. Je transmets des énergies, des émotions, mais je ne détiens rien. Krishnamurti a montré que la vérité est un chemin semé de doutes et qu’il n’y a pas de guide. Je crois profondément à cela. Mon rôle n’est pas de dire “voici le monde”, mais d’ouvrir un espace.
Célia : Un espace de liberté ?
Achao : Oui. De liberté, de silence intérieur, et d’émancipation.

« Deleuze, Foucault, Krishnamurti : mes compagnons de route »

Célia : On sent chez vous une pensée nourrie par la philosophie. Vous citez souvent Deleuze, Foucault, Krishnamurti…
Achao : Oui, ce sont bien là mes compagnons de route. Deleuze m’a appris à appréhender l’acte de peindre et la condition même du peintre. Foucault, quant à lui, m’inspire profondément : sa pensée m’a permis d’envisager ma peinture comme un objet de résistance face aux systèmes de pouvoir. C’est pourquoi je conçois la peinture comme une voie d’évasion contemplative, un espace de liberté. Krishnamurti, enfin, m’offre les clés pour cultiver un regard pur, affranchi des conditionnements. Leurs réflexions, chacune à leur manière, imprègnent mon quotidien et nourrissent ma pratique artistique.

« Offrir une respiration »

Célia : Vos expositions laissent souvent les visiteurs silencieux, parfois émus. Que souhaitez-vous provoquer en eux ?
Achao : Rien de spectaculaire. Si un spectateur s’arrête, respire, et se sent apaisé — alors mon travail a atteint son but. Je ne cherche ni à convaincre ni à bouleverser. Je souhaite simplement offrir une respiration, la possibilité de faire un pas de côté. Les motifs, les flous, les transparences… tout est conçu pour inviter le regard à glisser doucement vers l’intérieur. Et dans ce mouvement, peut-être le regardeur pourra-t-il effleurer quelque chose d’essentiel.
 

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